Soir de Brame
histoire photographique
Je pourrais vous raconter l'histoire de ce cliché, mais il me faudrait un livre entier, et je n'ai ni cette prétention ni ce talent. Pourtant, pour comprendre, il faut revenir à ce jour où j'ai investi dans mon téléobjectif un Sigma 150-600mm ainsi qu'a ma première sortie 'Brame'.
La vie, la nature, m'ont offert l'opportunité de vivre un moment d'une incroyable intensité. C'était ma première sortie, empli d'humilité, de respect et de curiosité. Je partais à l'aventure, avec un niveau zéro en photographie animalière. En fin d'après-midi, je m'installe sur un promontoire avec une vue dégagée. Un lieu que j'avais repéré sur des cartes, confirmé par un chasseur que j'avais croisé en chemin. Je n'avais aucune prétention, juste l'envie de découvrir le site, d'apercevoir quelques animaux et, avec un peu de chance, de vivre le brame. Si seulement... Et là, le hasard, la chance, ou peut-être un alignement cosmique — appelez cela comme vous voulez — m'ont offert un moment inoubliable.
Ce jeune chasseur, qui, je l'admets, portait mes préjugés avec lui, m'indiqua un chemin d'un ton simple : "Un peu plus loin, tourne à gauche, va au bout. Ils sont là." "Sympa", me suis-je dit. J'avance discrètement, et là, presque rien. Juste une chevrette allongée au milieu d'une prairie en légère pente. Le temps passe, les minutes deviennent des heures. Rien, ou presque. Puis une biche sort du bois, suivie d'une autre. À ce moment-là, je commence à me dire que la patience a porté ses fruits. Des daguets, reconnaissables à leurs jeunes bois, apparaissent ensuite. Pour une première sortie, je pensais avoir déjà bien assez de chance. Mais la nature me réservait encore bien plus.
Je ne l'avais pas vu. À l'orée du bois, un cerf, immense à mes yeux, faisait son entrée. Calme, serein, il observait la prairie, humait l'air, puis s'approchait pour commencer sa parade. Un rêve, mais bien réel. Comment était-il possible que, dès ma première sortie, je sois témoin de cela ? Et ce n'était pas tout. Je resterais là jusqu'à la tombée de la nuit.
Un autre cerf, resté dans l'ombre du bois, faisait retentir son brame dans toute la vallée. Peu de temps après, lui aussi s'avançait, à seulement quelques dizaines de mètres de mon objectif. Le calme apparent allait bientôt laisser place à un spectacle inoubliable.
Ces deux géants allaient revendiquer leur territoire, leur domination. Leur brame, profond, résonnait dans l'air, un son que je n'oublierai jamais. Je ne le savais pas encore, mais un seul d'entre eux resterait.
Face à face, ils se jaugeaient, frottant frénétiquement leurs bois contre le sol, bramant de toutes leurs forces. Un moment de flottement... Que se passait-il ? Puis, comme un calme étrange avant la tempête, ils reprirent leur souffle, une certaine sérénité.
Ils bougèrent, se déplaçant plus en hauteur, comme pour aller sur un ring. Tout se passait dans une tension maîtrisée, comme si ce duel était inévitable. Ils devaient s'affronter, prouver aux biches leur supériorité génétique. Toujours dans ce calme olympien, ils s'arrêtèrent, se firent face, frottèrent une dernière fois leurs bois. Puis, sans un bruit, l'affrontement éclata. Les bois s'entrechoquaient dans un fracas impressionnant, leurs corps se repoussaient avec une force brute. C'était une démonstration de puissance, mais à mes yeux, cela avait une forme de beauté.
Le vainqueur exultait, bramant deux fois plus fort pour revendiquer sa place de dominant. Il chassa même les daguets curieux, venus observer la leçon qu’ils devraient appliquer un jour. Quant au vaincu, il reprit tranquillement le chemin de la forêt, tête basse. Il n'y avait ni haine ni mépris, simplement l'issue naturelle d'une confrontation. Une belle leçon, non ?
Il faisait presque nuit quand le roi proclamé de cette année commença à séduire ses prétendantes. L'une d'elles l'accompagna, lui permettant de perpétuer l'espèce.
C'était ma première fois. Depuis, je n'ai cessé de revenir les voir. Et cette soirée d'octobre 2023, lors d'un stage photo avec ma stagiaire et son conjoint, nous avons de nouveau eu la "chance" de vivre un instant exceptionnel. "Je repars avec des étoiles dans les yeux", m'a-t-elle confié plus tard. J'avais les mêmes étoiles, comme dans un rêve, mais cette fois encore, tout était bien réel. Il suffit simplement de vouloir faire partie de ce monde que l'on dit sauvage, mais qui, en réalité, est profondément le nôtre.
C'est aussi cela que j'ai appris cette première fois, et à chaque sortie depuis. Faire de ce rêve ma réalité, et le partager, voilà tout.
Voici l'histoire derrière cette photo. Un long chemin, sans destination fixe, juste le plaisir d'être témoin de l'essence même de la nature.